Mon meilleur ennemi!
Il y a des relations où l’interdépendance est plus forte qu’ailleurs.
Où l’on dépend de l’autre autant qu’on s’en méfie. Où l’on a besoin, sans vouloir en avoir l’air.
La relation de travail en fait partie. C’est un lien parfois intime, parfois froid, souvent ambivalent.
Un lien dans lequel chacun attend quelque chose, sans toujours le dire, sans toujours l’assumer.
On signifie à l’autre qu’il n’est pas indispensable, tout en lui demandant de s’impliquer davantage.
On fixe un cadre contractuel, avec des horaires, des objectifs, des règles du jeu. Et l’on fait tout pour ne pas trop en sortir, pour ne pas se compromettre. Après tout, 17h, c’est 17h. Chacun reste à sa place.
Et le jour J, on s’attend à plus, une récompense, une reconnaissance.
Mais ce n’est pas le cas, alors on est déçu. On se scrute avec défiance mêlée d’une sorte de dégoût.
Quelque chose s’est abîmé.
On ne sait pas toujours quoi.
Mais on le sent.
Ça fait longtemps que l’on ne s’aime plus. Pourtant, on reste ensemble.
Pourquoi ? Parce que ce n’est pas mieux ailleurs.
Parce qu’au moins ici, on connaît déjà les règles, les limites, les travers.
Parce que "si ce n’était que moi, j’aurais déjà tout arrêté", mais ce n’est jamais que soi : il y a un loyer, une équipe, un projet, une réputation, une stabilité.
Alors on continue. Et doucement, presque imperceptiblement, la relation se dégrade.
Jusqu’à l’inévitable : la séparation.
Cette séparation, comme souvent dans les relations longues, a un goût étrange : celui du soulagement mêlé à une forme d’angoisse sourde.
Côté entreprise, l’angoisse de devoir remplacer, combler, former, transmettre.
Côté salarié, celle de retrouver une sécurité, un rythme, un statut, une place.
Deux solitudes qui se quittent, chacune lestée d’un besoin que l’autre ne comblait plus.
Et alors, une question émerge, brutale mais nécessaire :
Comment réconcilier ce qui semble devenu irréconciliable ?
Comment ne pas reproduire encore et encore ces dynamiques d’usure, de méfiance et de désamour ?
Peut-être en revenant à l’essentiel : ce qui nous rapproche et ce qui nous sépare.
Ce qui nous rapproche, c’est simple : des intérêts communs.
Un objectif partagé : faire avancer un projet, créer de la valeur, contribuer à une œuvre collective.
C’est sur cette base que la relation peut se construire, s’équilibrer et se renforcer.
Mais une relation ne tient pas que sur des intérêts. Elle se nourrit aussi d’engagements mutuels, de respect, de reconnaissance et de confiance.
Et là où la confiance s’effrite, l’intérêt seul ne suffit plus.
Ce qui nous sépare, ce sont les divergences de besoins, de priorités et de visions.
Un salarié qui attend du sens, du respect et de l’autonomie.
Un employeur qui attend de la performance, de la fiabilité et de l’alignement.
Ces attentes ne sont pas incompatibles, mais elles doivent être reconnues, exprimées, travaillées.
Les différends ne sont pas le problème.
Le silence sur ces différends, oui.
Dans cette relation si particulière qu’est la relation de travail, il n’y a pas de garant unique.
Elle est à deux.
Et c’est aux deux parties qu’incombe la responsabilité de la nourrir, de l’ajuster et de la faire évoluer dans une logique d’intérêt commun.
Cela suppose un changement de posture, notamment du côté de l’entreprise.
Le "patron", celui d’hier, n’a plus le privilège d’imposer ses idées sans retour.
Son investissement financier ne lui donne pas tous les droits.
Il a besoin d’engagement, de créativité, d’intelligence humaine. Et cela se cultive.
Pas par la pression, mais par la relation.
Il ne s’agit pas de tout céder, ni de renverser la hiérarchie.
Mais de reconnaître que le capital humain n’est pas une variable d’ajustement.
Et que sans considération, sans écoute, sans espace de confiance, aucune performance durable n’est possible.
Reste une dernière question, cruciale :
Comment créer une relation saine dans un climat de défiance généralisée ?
Peut-être en revenant à un principe très simple, presque naïf :
Sans confiance, aucune relation, quelle qu’elle soit, ne peut tenir.
Et ce n’est pas parce qu’on a été déçu, trahi, exploité… qu’il faut renoncer à toute exigence relationnelle.
La défiance n’est pas une fatalité.
C’est souvent une protection.
Mais à trop s’enfermer dans la protection, on finit par devenir imperméable à la relation.
Les rationnels diront qu’il n’y a pas de lien entre le cœur et le travail.
Mais le jour où les femmes et les hommes deviendront des machines, dénués de toute émotion, toute attente, tout ressenti…
Ce jour-là, il n’y aura plus ni relations de travail, ni entreprises humaines.
Seulement des rouages.
Peut-être faut-il accepter que le travail ne se réduise pas à un contrat.
Que le lien professionnel est aussi un lien affectif, au sens noble du terme.
Et qu’il se construit comme tous les autres : par des engagements tenus, une clarté partagée et un respect mutuel des besoins.
La bonne relation de travail n’est pas celle où tout est parfait.
C’est celle où l’on peut se parler, s’écouter et se remettre en question, sans crainte.
C’est celle où l’on travaille avec l’autre, pas contre ou malgré lui.
Alors dans cette relation en particulier, disons qu’une fois la raison décidée, laissons le cœur guider!
Affiche du film "Working Girl" de Mike Nichols. 1989
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