Changer son angle de vue!
Si on changeait son angle de vue ?
C’est la question que je me suis posée il y’a quelques années, lorsqu’un Manager était venu me voir pour m’annoncer avoir tout essayer avec sa collaboratrice et qu’il ne voyait plus qu’une seule solution, se séparer d’elle.
Et si on s’était arrêté aux faits bien établis, c’est peut-être une vie que nous aurions perdu.
Voici son histoire*.
Une femme brillante qui jongle entre travail et famille, entre croissance de son CA et l'éducation de ses 2 enfants.
Elle faisait partie des « best performers » et souvent identifiée dans les plans de succession.
Dynamique, percutante, qui sait embarquer autant ses collaborateurs que convaincre ses clients.
Mais petit à petit et sans raison apparente, son Manager constate qu’elle s’implique moins, qu’elle confond les dossiers de ses clients, qu’elle s’impatiente face aux requêtes de ses collaborateurs…
Il pense à une fatigue et en parle avec elle. Il propose un congé, elle le décline et assure que tout va rentrer dans l’ordre.
Pourtant ça se complique, quand un client vient dénoncer un contrat, qu’un collaborateur se plaint des incohérences des informations reçues, que ses collègues ne trouvent plus son soutien et que ses résultats continuent de baisser dangereusement.
Son Manager, met en place le plan d’action prévu dans ces cas-là : il programme un point régulier, il la décharge de certains dossiers, il l’interroge sur sa motivation et son intérêt pour son poste, il lui organise un rdv avec le médecin du travail… Elle nie tout, elle s’accroche et promet de tout arranger.
Mais cela ne va plus. Au point que lorsqu'il vient m'en parler, il me dit qu’il "la soupçonne de prise de drogues, ce qui expliquerait son état de fatigue et son changement de comportement brutal".
Je décide de la rencontrer et d’en savoir plus avant de déclencher un process de licenciement.
A ma question « comment vas-tu ? », sa réponse fût à peu près celle-là :
" Je ne vais pas bien du tout. Au fait je ne sais plus quoi faire. Ça n’a rien à voir avec le travail. Je vais te le dire à toi, car tu es une femme, je me sens plus à l’aise. Mais s’il te plait ne me juge pas.
Je vis dans la maison de mon mari. Depuis que je travaille, je lui donne ma paie. Il vérifie sur mon compte que c’est bien la somme reçue. J’avais demandé, une fois, si on pouvait me donner ma prime en chèque, sans indiquer le bénéficiaire, pour la mettre sur un autre compte. Je ne sais pas si on te l’a dit.
Au travail, j’ai des responsabilités, des collaborateurs qui comptent sur moi, des clients qui me font confiance, des collègues qui apprécient mon travail. J’aime ce que je fais. Je sens que j’évolue. Enfin que j’évoluais.
A la maison, je m’occupe de tout, des enfants, du ménage, des repas, des médecins, de l’école… Un matin j’ai fait le constat que je ne voulais plus de cette vie et j’ai pris la décision de quitter mon mari.
Et c’est là que tout à basculer. Il a refusé fermement. Il m’a dit que les enfants ne sortiront pas de la maison. Puis, que je pouvais partir si je n’étais pas satisfaite.
Un soir, je suis allée chez mes parents. Au petit matin, ma mère m’a dit que je devais retourner chez moi, que j’avais un toit, un mari, des enfants et que je ne devais pas me plaindre. Quand j’ai répondu que je n’y retournerais pas, elle m’a dit que je ne pouvais pas rester chez eux, que c’est une honte et que les voisins allaient jaser.
Et la honte m’a habité. Je ne voulais pas rentrer chez moi, je ne voulais plus de cette vie, je voulais divorcer.
Mais je n’ai pas d’argent, aucune économie, mon mari a tout pris.
Tous les jours, je vais voir mes enfants en fin de journée et au petit matin, je prends le petit déjeuner avec eux. Je dors dans ma voiture garée dans un box de mon immeuble. Je viens très tôt au bureau pour prendre ma douche et me préparer pour ma journée de travail.
Quand mon manager m’a parlé de ma mise à l’épreuve, j’ai vu mon monde s’effondrer. Si je perds mon travail, je perds ma voiture de fonction, mon seul refuge ! Je n’ai pas su gérer, je pensais en être capable, mais j’ai tout fait de travers. Je suis soulagée de pouvoir t’en parler "
Voilà.
J'étais abasourdie. Jamais je n’aurais imaginé que cette femme, brillante et charismatique au travail, puisse vivre un cauchemar dans sa vie personnelle.
Nous avons pris les choses en main, octroyé un crédit entreprise à taux zéro pour quelle puisse louer un appartement et qu’elle retrouve un toit, se sentir à l’abris et faire face à ses difficultés personnelles.
Si je raconte cette histoire aujourd’hui, et ce n’est pas la seule que j’ai vécue (il y’a des détresses que je n’ai pas su voir), c’est pour dire aux Managers, moi y compris, que ce qui semble évident est souvent erroné.
On est parfois pris dans son quotidien, ses propres préoccupations et on ne voit pas ce qui se passe sous nos yeux.
Nos collaborateurs, nos collègues, ont aussi une vie en dehors du travail, un quotidien à gérer et des préoccupations.
Sachons faire un pas de côté, changer notre angle de vue et assurons nous d’être en paix avec notre humanité.
*les faits ont été maquillés pour protéger l'identité de la personne concernée.
Dessin: « Ma femme ou ma Belle-Mère”, portrait ambigu du dessinateur britannique William Ely Hill publié en 1915.
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