Espoir!
Il y’a déjà quelques années, j'étais invitée à ce mariage où, mon attention s’était focalisée sur la table d’à côté, animée par une dizaine de jeunes gens.
De leur table, j’entendais leurs rires, je devinais leur complicité, j’observais la légèreté de leurs échanges.
Ils étaient dans leur monde, un monde des possibles où demain n’a aucune importance.
C’est une tranche de vie heureuse qu’on voudrait figer à tout jamais.
Il y’avait particulièrement cette jeune fille, élancée, belle, joyeuse. Mon regard a du mal à s’en détacher.
Je remarque qu’elle parle d’une drôle de façon. Ce n’est pas qu’elle ait du mal à parler, son élocution est fluide. Mais de là où je me trouve, j'ai du mal à comprendre ce qu’elle dit.
En l’observant, je remarque une cicatrice sur sa gorge. J’en déduis qu’elle a dû naître avec une malformation et a dû être opérée. D’où sa difficulté à parler ou du moins, ma difficulté à la comprendre.
Intriguée, je demande qui elle est.
Si je cherche bien dans mes souvenirs, inconsciemment, ce fut pour moi un point de bascule.
Je venais de prendre en pleine face l’horreur de la guerre.
Je ne l'ignorais pas... Je ne l’ai pas vécu.
Mon imagination, à ce moment-là, ne me permettait pas de me figurer les atrocités qui s’y déroulaient.
C’était irréel. Comme un film qu’on regarde à la télévision, avec distance. Mon cerveau ne pouvait pas, ou ne voulait pas, faire la distinction entre la fiction et la réalité.
Pourtant, une amie, rencontrée à l’université, me disait faire des cauchemars, souvent, régulièrement, mais sans plus de détails.
Par pudeur, par envie d’oublier, pour se projeter dans l’avenir et ne pas laisser le passé l’assombrir… peut-être par honte. Elle ne pouvait pas accuser l'Etranger, tellement plus simple.
C’était dans un village près d’Oran, dans l'ouest Algérien.
Un soir, un groupe d’intégristes terroristes a égorgé, sans distinction, hommes, femmes et enfants, à la vitesse et avec la violence d’un ouragan. La plupart y ont succombé.
Quand les secours sont arrivés, il y’avait ce bébé, au milieu de tous ces corps sans vie, qui semblait respirer encore, malgré la gorge tranchée. Le médecin qui l’a sauvé, a choisi de l’adopter.
Ce bébé, c’est cette jeune fille qui rit et qui danse, marquée, à tout jamais, dans sa chair, par l’abomination.
Cette nuit-là, je n’ai pas dormi et pendant longtemps, j’en ai fait des cauchemars.
A quelques milliers de kilomètres de moi, il y’a plus de 20 ans des gens vivaient l’horreur. A quelques milliers de kilomètres de moi, depuis plus de 20 ans, des gens vivent dans l’horreur.
Quand hier, la rabbine Dephine Horvilleur a parlé d’empathie, l’image de cette jeune fille avec sa cicatrice à la gorge est revenue, comme un boomerang, hanter ma nuit.
Est-ce qu’on s’habitue à la violence, à ses images ? Est-ce que notre esprit les cache quelque part pour nous éviter des cauchemars ?
Comment dans le chaos, avoir le discernement qui nous sauve ? Celui qui fait de nous des êtres humains capables de prendre le recul qui nous empêche de basculer dans l'acharnement ?
A quel moment notre empathie ne nous protège plus et nous plonge dans la haine ?
Je m’efforce de revoir le rire de cette jeune fille, de l’entendre même. De voir son corps danser avec légèreté malgré et contre le poids de son histoire.
« ils n’auront pas ma haine ! ». Antoine Leiris, 2016.
Image : « Guernica » Pablo Picasso, 1937.
En effet, les cicatrices de l'histoire ne s'en vont pas, elles restent en notre compagnie tout le long de notre vie, l'empreinte laissée sur les mémoires par les uns et les autres les marquera à jamais. Les atrocités commises pendant ces années noires ont laissé une frange de la population meurtrie et stigmatisée à jamais. Merci Monia pour ce récit
RépondreSupprimer